La face cachée du cèdre!

Innofibre
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Au Québec, le cèdre est un conifère souvent utilisé en aménagement paysager. Cet arbre pouvant atteindre plusieurs mètres de hauteur nécessite une tonte annuelle.

Ces résidus de cèdre génèrent des tonnes de biomasses produites chaque année. Avec la quantité de résidus disponible, il est intéressant d’investiguer des voies de valorisation pour promouvoir une économie circulaire. Parmi les nombreuses possibilités de valorisation, l’extraction de molécules de cette biomasse pour le développement d’ingrédients bioactifs destinés aux marchés cosméceutique et nutraceutique représente une belle opportunité. Cet article se penchera sur les travaux menés sur le développement d’un extrait antimicrobien à partir de résidus de cèdre dans le cadre d’un projet financé de 2023 à 2024 par le Programme d’aide à la recherche et au transfert (PART) du Ministère de l’Enseignement supérieur du Québec (MES).

Pourquoi s’intéresser aux propriétés antimicrobiennes du cèdre?

Depuis près de 10 ans, Innofibre a développé une expertise dans l’extraction de molécules antimicrobiennes et antifongiques issus de biomasses forestières telles que les écorces d’épinette, de peuplier et de bouleau. Grâce à ses équipements spécialisés, Innofibre a la capacité de produire des extraits à l’échelle laboratoire et pilote. L’accès à un laboratoire de microbiologie de niveau de confinement 2 permet aussi de tester l’efficacité des extraits sur une multitude de souches bactériennes et fongiques. Des méthodes de criblage pour traiter un grand nombre d’extraits ont aussi été développées chez Innofibre pour améliorer l’efficacité des essais quantitatifs.

Comment extrait-on des molécules antimicrobiennes?

Les résidus de cèdres doivent dans un premier temps être conditionnés par un séchage, un tamisage et un broyage. En séchant la biomasse, cela évite qu’il y ait des microorganismes qui se développent sur les résidus. Le broyage permet de réduire le diamètre des résidus en vue de l’extraction. Plus la matière est fine, plus il y aura une surface de contact élevée entre la biomasse et le liquide lors de l’extraction. Le tamisage permet de retirer des contaminants tels du sable et des matières inorganiques qui pourraient nuire au procédé d’extraction. Après ces étapes de conditionnement, une extraction peut être réalisée. Il existe plusieurs techniques d’extraction. Celui privilégié par Innofibre repose sur un principe similaire à celui d’une machine à café où un volume d’eau passe à travers une matière solide (figure 1).

innofibre 23sept24 fig1Figure 1. Extraction à l’eau du cèdre conditionné

Plus précisément, une masse déterminée de résidus conditionnés est déposée dans un lessiveur papetier tel qu’illustré à la figure 1 et un volume d’eau circule à travers les résidus à une température déterminée. Après plusieurs séquences de circulation de liquide à travers les résidus, l’eau est récoltée. Celle-ci contient certaines molécules du cèdre qui se sont solubilisées dans l’eau, à l’image d’un café qui contient les molécules des grains de café moulu après avoir percolé au travers. Cette eau chargée en molécule constitue maintenant l’extrait. Le cèdre contient plusieurs molécules solubles dans l’eau comme des sucres (polysaccharides), des tanins et des terpènes (ex. thuyone). Certaines de ses molécules sont connues pour avoir des propriétés antimicrobiennes. Un procédé d’extraction liquide-liquide a subséquemment été réalisé afin d’évaluer s’il permettait de concentrer davantage les molécules antimicrobiennes. Deux extraits ont ainsi été produits dans le cadre du projet (figure 2). Les extraits secs ont ensuite été formulés sous différentes formes.

innofibre 23sept24 fig2Figure 2. Extrait sec de cèdre à l’eau (A) et au solvant organique (B)

Les extraits au secours de la mammite!

La mammite est une maladie infectieuse affectant les glandes mammaires des bovins. Cette maladie peut être causée par des bactéries, des champignons, des levures et des algues. Elle est la maladie qui cause la plus grande perte économique chez les producteurs laitiers puisque le lait produit par les vaches atteintes est impropre à la consommation. Au Canada, les pertes totalisent plus de 400 millions de dollars chaque année, ce qui équivaut à environ 15% des revenus nets totaux de l’industrie laitière. De plus, seulement deux antibiotiques (Cefa-lak et Spectramast LC) sont autorisés pour le traitement de la mammite bactérienne au Canada. Les résistances aux antibiotiques sont de plus en plus fréquentes et rendent le traitement plus difficile pour éradiquer la maladie. Également, comme les antibiotiques sont efficaces uniquement contre les bactéries, il est nécessaire de trouver un traitement alternatif contre cette pathologie. Certains extraits forestiers peuvent être efficaces contre plusieurs microorganismes tels les bactéries et les champignons. Le projet visait ainsi à développer un extrait issu de résidus de cèdre permettant de traiter la vache atteinte ou de prévenir la propagation de la maladie par le nettoyage de l’équipement.

L’efficacité antimicrobienne, c’est quoi?

L’efficacité des deux types d’extrait de cèdre produit a été testée sur deux souches bactériennes isolées de vaches atteintes de la mammite, soit, E. coli et S. aureus. Les extraits ont été intégrés dans 4 formulations différentes. Celles-ci visaient à reproduire des formes d’application possible à la ferme, soit un onguent appliqué sur les trayons d’une vache, une solution de bain de trayons, un désinfectant de surface et un additif de litière. L’efficacité antimicrobienne de ces formulations a été mesurée en dénombrant le nombre de bactéries résiduelles suivant leur contact avec les formulations. Les bactéries ayant été en contact sont diluées en série et ces dilutions sont étalées sur des milieux solides contenant de la nourriture pour les microorganismes. Les bactéries ayant survécu au traitement vont se nourrir des nutriments du milieu et se reproduire. La reproduction d’une bactérie créera un cercle sur le milieu solide (figure 3), soit une colonie de bactéries formée par la reproduction de cette unique cellule. Le nombre de colonies comptées correspond au nombre de bactéries présentes par millilitre suivant le contact avec la formulation. Ce nombre est comparé à un contrôle n’ayant pas été en contact avec la formulation contenant l’extrait. Ainsi, en soustrayant le nombre de bactéries ayant été en contact de celui n’ayant pas été en contact permet de calculer la réduction du nombre de bactéries actives par millilitre, exprimer en log de réduction de cellules, grâce à l’effet de la formulation. Les logs de réduction représentent ainsi le nombre de bactéries qui sont tuées par la formulation. L’extrait utilisé pour le test représenté à la figure 3 est l’extrait organique de cèdre. Ce test a permis de conclure que cet extrait est efficace pour réduire le nombre de bactéries Staphylococcus aureus. Il pourrait donc s’avérer efficace pour contrôler leur prolifération et réduire le risque de développement de la mammite.

innofibre 23sept24 fig3Figure 3. Milieux solides contenant des colonies de bactéries Staphylococcus aureus. (A) Contrôle – contact avec formulation sans extrait antimicrobien et (B) contact avec formulation contenant l’extrait antimicrobien

En conclusion, ces résultats sont prometteurs pour la valorisation des résidus de cèdre. Des collaborations avec des partenaires de recherche du domaine agroalimentaire permettraient d’approfondir les connaissances dans ce secteur et d’unir nos forces pour valider ces résultats dans des conditions réelles d’utilisation. Des essais supplémentaires pour l’évaluation d’autres microorganismes seront requis pour valider le potentiel de ces extraits.


La mission d'Innofibre
« Contribuer au positionnement technologique et au développement durable de l’industrie papetière et du bioraffinage au Québec, en soutenant l’innovation et la diversification des produits issus de la biomasse et en adaptant les technologies papetières. »

Innofibre 19aout20 3


melanie trudelMélanie Trudel,
chercheuse chez Innofibre