Jean-François Samray veut redonner à la forêt ses titres de noblesse

Jean-François Samray, PDG du CIFQ

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Nouvellement nommé président-directeur général du Conseil de l’industrie forestière du Québec (il est en poste depuis un peu plus de deux mois), Jean-François Samray a clairement de grandes ambitions pour la forêt québécoise.

Dans sa ligne de mire : le régime forestier en place. Son objectif : adapter le régime pour créer un climat d’affaires plus propice pour l’industrie. « Nous devons créer un environnement stable et prévisible pour assurer la transition vers la production de nouveaux produits répondant aux besoins de demain et aux urgences d’aujourd’hui, notamment des produits pour le secteur de la santé, ou à plus faible empreinte carbone. Ensuite, il faut reconnaitre le rôle de l’industrie forestière dans la lutte contre les changements climatiques, ce qui n’est pas encore intégré dans la prise de décision comme telle. Nous devons accroitre la place des produits de la forêt dans l’économie. Après tout,  142 000 Québécois dépendent de ce que l’on fait. »

Économiste de formation

Avant de se joindre au CIFQ, M. Samray occupait, depuis décembre 2009, le poste de président-directeur général de l’Association québécoise de la production d’énergie renouvelable (AQPER).

Détenteur d’un baccalauréat en économie de l’Université de Sherbrooke, M. Samray a également poursuivi des études supérieures en science politique à l’Université de Montréal, en plus d’une formation spécialisée en droit communautaire de l’environnement à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, et d’un Master in Business Administration (EMBA) de la Norwegian Business School.

Homme d’action et de réflexion, il a été convié à participer aux travaux de nombreux groupes de travail et comités stratégiques instaurés par différents ministères québécois et canadiens. Depuis 2015, il est également représentant du secteur énergie à la Table des partenaires de la Société du Plan Nord, où il agit à titre de vice-président élu par les représentants ainsi que mentor en leadership pour les étudiants au EMBA à la Norwegian Business School.

« En un mot, l’environnement et la foresterie ont toujours été en filigrane de mes activités, enchaine M. Samray. Ma vie est une suite de rencontres et de hasards, où la forêt est continuellement présente. Que ce soit à l’AQPER pendant 11 ans, lors de mes passages à l’UPA comme agent de commercialisation, ou encore en Norvège, ma ligne conductrice demeure les ressources primaires : l’eau et la forêt. J’ai côtoyé mes prédécesseurs du CIFQ par le passé à différentes tables sectorielles, notamment

Guy Chevrette, André Tremblay et Denis Lebel. Lorsqu’on m’a approché pour devenir à mon tour PDG du CIFQ, j’étais à la fois honoré et attiré par l’emploi. Le secteur forestier est un secteur incroyable avec un potentiel sans limites et où il reste tellement à faire ! » commente-t-il. En ce sens, il admire particulièrement ce qui se fait à l’échelle de la filière papetière et celle des emballages qui, après un âge d’or, doivent se réinventer et relever une série de défis pour assurer leur pérennité.

En deux mois, M. Samray a participé à deux commissions parlementaires. Il s’est penché sur le dilemme de l’attraction et de la rétention de la main-d’œuvre ainsi que sur la substitution des matériaux de construction plus énergivores par le bois, ce qu’il qualifie d’« opportunité incroyable ».

« Tout comme plusieurs personnes passionnées de l’industrie, j’ai la conviction profonde de contribuer au développement régional et national du Québec. La forêt et l’eau sont, historiquement, la base de notre économie. Avec les défis liés aux changements climatiques, elles font définitivement partie des solutions et de l’avenir du Québec. »

cifq 22oct20 3Source : Archives LMP

Plus que du lobbying

Le Conseil de l’industrie forestière du Québec a pour objectif principal de créer les conditions propices au plein développement du secteur forestier et de promouvoir les intérêts de l’industrie auprès du gouvernement du Québec.

Ce rôle de lobbying du CIFQ, Jean-François Samray le trouve trop réducteur. « Nous faisons tellement plus », lance-t-il en soulignant le travail acharné de l’équipe en place. « Oui nous sommes en relation étroite avec les ministères pour des sujets comme le régime forestier, l’énergie, la loi sur la qualité de l’environnement et le développement économique. Mais nous faisons aussi de l’accompagnement pour nos membres, des enquêtes et de l’analyse économique pour anticiper les tendances. Avec Cecobois, nous apportons un support aux architectes et ingénieurs chargés de concevoir et de construire des bâtiments non résidentiels en bois. Ce groupe développe aussi l’outil Gestimat qui permet d’estimer l’empreinte carbone des bâtiments et ainsi chiffrer l’avantage d’utiliser le matériau bois.

           
Notre équipe du contrôle de la qualité assure l’intégrité du système de classification et d’estampillage du bois de résineux destiné à la construction. Nous sommes aussi engagés dans le développement de nouveaux produits. Nous travaillons avec les forestiers pour optimiser la planification des activités de récolte dans un contexte d’aménagement durable encadré par une loi et des certifications forestières. Dans cet écosystème industriel, tout le monde a son importance, notamment le maillon du secteur de la production du papier et des cartons, lequel est stratégique pour la solidité de l’industrie.»

Régime forestier et conflit du bois d’œuvre

M. Samray ne cache pas que les travaux entourant la modernisation du régime forestier sont au cœur des discussions actuelles avec le gouvernement du Québec.

« Nous vivons avec le régime actuel depuis plus de sept ans et celui-ci a besoin de beaucoup d’amour et de soins, notamment au chapitre de la planification des activités d’aménagement forestier. À ce niveau nous travaillons à améliorer la prévisibilité et la flexibilité opérationnelle qui sont critiques à la rentabilité des opérations forestières et des entrepreneurs impliqués. Nous sommes également activement impliqués dans le dossier de partage des coûts des chemins multiressources avec le gouvernement du Québec. »

Le contentieux du bois d’œuvre avec les États-Unis, marché principal pour nos producteurs, est aussi à l’ordre du jour puisqu’il s’agit d’un montant de 900 millions de dollars séquestré dans un compte intrust, de l’argent qui dort à la frontière et qui pourrait aider à la modernisation des installations et des équipements.

« Le Canada a réglé le conflit sur l’aluminium en quelques semaines seulement. C’est donc dire que quand la volonté politique est là, il est possible d’avancer. Nous sommes en droit de nous attendre à un règlement honorable de ce dossier, car le conflit est néfaste des deux côtés de la frontière, explique M. Samray. La demande américaine est supérieure à l’offre locale, les Américains ont besoin de notre bois. »

Le CIFQ suit comme tout le monde la campagne présidentielle américaine, mais adopte, comme il se doit, le principe de non-ingérence, non-indifférence. Autrement dit, on suit de près ce qui se passe sans pour autant intervenir. « En ce qui nous concerne, ce conflit doit se régler dès que possible, il faut trouver une solution pour dénouer l’impasse », presse M. Samray.

cifq 22oct20 2Source : Archives LMP

Le juste prix du bois d’œuvre

Depuis quelques semaines déjà, le niveau du prix du bois d’œuvre atteint des sommets historiques, dépassant le niveau des 1 200 dollars canadiens du mille pieds de planche sur certains produits.

Jean-François Samray explique que ce niveau de prix est directement imputable à la pandémie de COVID-19 qui a stimulé le marché de la rénovation domiciliaire en combinaison avec une diminution de l’offre pour des raisons de distanciation sociale et de disponibilité de la main-d’œuvre. Les critiques envers les producteurs de bois d’œuvre le laissent de glace. « Il n’y a qu’un seul prix pour le bois en Amérique du Nord et c’est l’offre et la demande globales qui le déterminent. Quand le prix est au sommet, il y a beaucoup d’émotion, ce qui est compréhensible. Cependant quand le prix ne couvrait même pas le coût de production (400 dollars), personne n’en parlait à l’extérieur de l’industrie. On veut un secteur du sciage agile et compétitif qui doit s’ajuster continuellement aux conditions de marché qui fluctuent », fait-il valoir.

Là-dessus, M. Samray fait remarquer qu’il suit attentivement la tendance des prix et que la plus grande partie de la production sert à répondre à une forte demande locale, ce qui laisse moins de bois pour les exportations. « Nous avons créé une cellule de travail avec les différents ministères et industries concernés (construction et commerce de détail) dans le but d’anticiper la prochaine étape et le comportement des marchés d’ici le printemps 2021.

De par son cheminement professionnel, M. Samray exprime un faible marqué pour la recherche et le développement fortement représentés au Canada et au Québec par la présence de FPInnovations (l’UQAC, l’UQAT et l’Université Laval). « Il y a un petit côté scandinave à nos travaux de recherche appliquée et, de concert avec FPI, le CIFQ est là pour aider à passer de l’idée à la chaîne de production. Nous sommes choyés d’avoir comme partenaires des gens de ce calibre. C’est ainsi qu’au chapitre des nouveaux produits, ils ont développé des masques anti-COVID en cellulose. Et ce n’est qu’un exemple de tout le potentiel qui est devant nous », conclut-il.

COVID-19 et agilité

Tout comme l’industrie des produits forestiers, le Conseil de l’industrie forestière du Québec a subi les contrecoups de la pandémie de COVID-19 qui a frappé au printemps dernier.

« À l’interne, notre équipe est composée de femmes et d’hommes de grandes compétences. Cette équipe est dédiée et a adopté la méthode du télétravail. Nous fonctionnons avec 25 % des employés au bureau et les dossiers continuent d’avancer. Au fond, ce qui importe, c’est la santé et la sécurité de nos gens. Sur le terrain, nos inspecteurs suivent les règles et les modalités de chaque usine, et dans le doute on demande de s’isoler et d’aller passer un test de dépistage. Disons qu’avec les outils modernes de communication en place, on gère mieux la crise. Dans l’attente d’un vaccin anti-COVID-19, tout le monde s’adapte. »


À propos du CIFQ

cifq 22oct20 4APrincipal porte-parole de l’industrie forestière du Québec, le CIFQ représente les intérêts des entreprises de sciage résineux et feuillus, de déroulage, de pâtes, papiers, cartons et panneaux et fabricants de bois d'ingénierie. Par son expertise et celle de ses partenaires, le CIFQ oriente et soutient ses membres dans les enjeux concernant, notamment la foresterie et l’approvisionnement, l’environnement et l’énergie, la reconnaissance de la qualité des produits, les ressources humaines, la santé et sécurité du travail et la veille légale, économique, réglementaire et de développement des marchés. www.cifq.com


Jaclin Ouellet, Journaliste, Le Maître papetier