Démêlons la réalité derrière la panique du marché
Alors que des manchettes alarmantes annoncent une pénurie imminente de papier hygiénique aux États-Unis, certains consommateurs ressentent un air de déjà-vu, se remémorant les épisodes d’achats de panique du début de 2020. Pourtant, ces craintes sont exagérées, mal informées et potentiellement dommageables.
Dans une analyse détaillée publiée le 31 mars 2025, j’ai clairement distingué la perception de la réalité : « Il n’y a aucune pénurie réelle de bois, de pâte, de papier tissu ni de capacité de transport. Les chaînes d’approvisionnement fondamentales sont intactes et les stocks demeurent sains dans la majorité des réseaux de distribution et de vente au détail aux États-Unis. »
À l’origine de la panique : l’anxiété tarifaire, pas une rupture d’approvisionnement
Le cœur du tumulte est l’annonce de nouveaux tarifs américains sur les produits de pâte et de papier, incluant ceux en provenance de partenaires clés comme le Canada, le Brésil et l’Union européenne. Formalisés au début d’avril 2025, ces tarifs visent à rééquilibrer les flux commerciaux, mais risquent d’entraîner une hausse des coûts pour les transformateurs et fabricants de papier tissu locaux.
Un point essentiel : la hausse des coûts ne signifie pas rareté. Oui, des turbulences de prix et des ajustements tarifaires sont prévisibles. Mais des ruptures d’approvisionnement ? Ce n’est pas ce qui se produit. Ce que nous observons est plutôt un phénomène de « panique psychologique » provoqué par une mauvaise interprétation des signaux économiques par les consommateurs.
Le risque d'une prophétie autoréalisatrice
Une de mes principales préoccupations est le rôle des médias dans l’amplification de récits alarmistes, risquant de provoquer des pics artificiels de demande. Lorsque le mot « pénurie » est relayé sans contexte, les rayons se vident rapidement — non pas parce que la chaîne d’approvisionnement a échoué, mais parce que la perception a pris le dessus sur la réalité.
Ce phénomène — où la peur d'une pénurie crée la pénurie — est particulièrement pertinent pour les produits de première nécessité comme le papier hygiénique. Comparons cela à la ruée de 2020 : la perturbation alors était temporaire et d’ordre logistique, non structurel.
La capacité est présente — et en croissance
J’attire aussi l’attention sur les récentes expansions de capacité qui contredisent l’idée d’un marché fragile. Depuis quelques mois, First Quality Tissue a lancé une nouvelle machine à séchage à air traversant (TAD), et Kruger Products optimise la production sur son site de Sherbrooke, au Canada.
Ces initiatives ne sont pas des réponses de crise, mais des investissements stratégiques à long terme, répondant à des fondamentaux de marché solides et à la croissance des marques de distributeurs en Amérique du Nord.
Les données sectorielles confirment cette tendance : le taux d’utilisation des capacités de production de papier tissu en Amérique du Nord est stable, voire en légère amélioration, et les niveaux de stocks chez les distributeurs et grossistes ne montrent aucun signe de détresse.
Les marques privées : un avantage stratégique en période d’incertitude
Autre point important : les producteurs de marques privées sont particulièrement bien positionnés pour gérer la volatilité des coûts induite par les tarifs. Ils disposent d’une plus grande flexibilité tarifaire, de frais marketing moindres et d’une qualité de plus en plus comparable à celle des grandes marques. Ces facteurs renforcent la résilience du marché.
Des détaillants comme Costco, Target et Kroger élargissent d’ailleurs leurs gammes de papier hygiénique sous marque maison, soutenus par des transformateurs régionaux bénéficiant d’un approvisionnement fiable en pâte.
Si opportunité il y a, c’est bien celle d’optimiser la valeur pour les acteurs nationaux — certainement pas une raison de céder à la panique.
Conclusion : prudence, pas crise
Le message est clair : inutile de créer une crise là où il n’y en a pas. Le marché du papier tissu pourrait subir des pressions sur les coûts et connaître des ajustements de prix à court terme, mais il reste structurellement résilient, équilibré et bien approvisionné. Oui, les tarifs risquent de perturber certaines dynamiques commerciales, mais ils n’affectent ni la production ni la disponibilité — du moins, pas à ce stade.
Cette industrie a démontré sa capacité d’adaptation, qu’il s’agisse de crises énergétiques, de pandémies ou de goulets d’étranglement logistiques. Restons concentrés sur les faits, non sur la peur.
Pour compléter l’analyse, voici un tableau résumant les principaux indicateurs du marché américain du papier tissu au cours des dernières années :
Notes :
• Estimations du premier trimestre 2025 : Les chiffres de production et de demande sont des estimations basées sur les moyennes trimestrielles dérivées des données annuelles.
• Importations et exportations : Les chiffres des importations et exportations pour le premier trimestre 2025 sont estimés à partir d'une répartition proportionnelle des données annuelles de 2024.
• Variation des stocks : La « légère baisse » observée au premier trimestre 2025 reflète une réduction mineure des niveaux de stocks, conforme aux tendances saisonnières de la demande.
Sources : Bureau du recensement des États-Unis, Bureau of Economic Analysis, et rapports sectoriels.
A propos de l'auteur
Marcello Collares
Ventes, stratégie, développement de nouveaux marchés –
Vice-président chez Fisher International, Inc.