Quand on regarde les dernières années, on constate que l'industrie canadienne de la pâte kraft de résineux blanchie du Nord (NBSK) a connu un parcours qui ressemble à des montagnes russes.
En plus des fermetures et des redémarrages d'usines, des changements dans la gamme de produits, la clientèle et les marchés de destination, il y a eu un important changement de propriétaires des usines de pâte kraft commerciale. Discutons des différentes raisons de cette situation et de ce que l'avenir pourrait apporter aux producteurs de NBSK.
Fermetures
En janvier 2020, l'usine Northern Pulp NBSK d'Abercrombie en Nouvelle-Écosse, appartenant depuis 2011 à Paper Excellence, a été fermée par le gouvernement provincial lorsque ses plans d'élimination des effluents traités n'ont pas été approuvés. L'usine s’est placée sous la protection de ses créanciers quelques mois plus tard. Si un nouveau plan est approuvé par la province, les propriétaires s'attendent à commencer une phase de construction de deux ans en 2024 et à rouvrir l'usine d'ici la fin de 2026.
Une autre usine de NBSK appartenant à Paper Excellence depuis 2010 et située à Mackenzie en Colombie-Britannique a été arrêtée en juin 2020 et fermée définitivement en avril 2021.
Plus récemment, deux producteurs de pâte NBSK dans l'ouest canadien ont été touchés. L'usine de pâte NBSK de West Fraser à Hinton en Alberta a fermé l'une de ses deux lignes à l'automne 2022. Les activités de pâte NBSK de Prince George Pulp & Paper de Canfor en Colombie-Britannique seront définitivement arrêtées à la fin de mars 2023, principalement en raison d'un manque de fibres appropriées. La région autour de Prince George a été considérablement affectée par l'épidémie de dendroctone du pin qui a commencé dans les années 1990. Non loin de là, l'usine Cariboo Pulp & Paper NBSK à Quesnel en Colombie-Britannique, une coentreprise de West Fraser et Mercer International, prévoit également au moins deux mois d'arrêt en 2023 en raison d'un manque de fibres disponibles causé par le dendroctone du pin et des incendies de forêt dans la région.
Réouvertures
Une usine de pâte NBSK fermée par Domtar en 2005 à Lebel-sur-Quévillon au Québec a été achetée par Chantiers Chibougamau en 2018 et rouverte sous le nom de Nordic Kraft en 2020. Un investissement d'environ 440 millions de dollars a été fait pour remettre l'usine en service, ce qui montre qu'une usine de pâte fermée depuis longtemps peut être ressuscitée, pour un prix.
De même, l'usine de pâte NBSK/NBHK fermée par Weyerhaeuser en 2006 à Prince Albert en Saskatchewan, puis achetée en 2007 mais non exploitée par Domtar, a été achetée par Paper Excellence en 2011. Le plan actuel est de redémarrer l'usine en 2024 avec de la pâte kraft de résineux non blanchie comme pâte de transition vers la pâte NBSK.
Pâte kraft non-blanchie
La production de pâte kraft non-blanchie est une tendance récente pour les usines de pâte kraft de l'ouest canadien. Les usines Paper Excellence de Howe Sound et de Crofton, toutes deux en Colombie-Britannique, sont déjà des usines mixtes, produisant de la pâte blanchie et non blanchie, et l'usine de Hinton s’est déjà tournée vers la production de pâte non blanchie de façon permanente.
Une partie de ce changement est motivée par l'interdiction par la Chine des importations de papier récupéré depuis 2021, ce qui a poussé les fabricants chinois de carton à acheter de la pâte kraft vierge non blanchie au lieu d'utiliser le carton ondulé récupéré.
Évolution des marchés d'utilisation finale et d'exportation
Au cours des vingt dernières années, il y a eu un énorme changement sur le marché de l'utilisation finale de la pâte NBSK. Si nous regardons les données mondiales pour 2003, 61 % de la pâte NBSK a été vendue pour fabriquer des papiers d'impression et d’écriture (P&W) et 17 % pour fabriquer du papier tissu.
En 2020, cependant, les rôles étaient inversés : 15 % pour P&W et 55 % pour le papier tissu ! Cela est le reflet du déclin des magazines et catalogues imprimés en raison de l’essor de l'Internet en même temps que l'utilisation accrue de diverses catégories de papiers tissus dans les pays en développement. En ce qui concerne la destination de la pâte NBSK canadienne au cours de la même période, les exportations américaines ont légèrement diminué, passant de 51 % à 45 %, les exportations européennes sont passées de 24 % à 0 % (probablement en raison de l'augmentation de la capacité européenne de pâte NBSK) et les exportations vers la Chine sont passées de 8 % à 35 %.
Changements de propriétaire
Paper Excellence, basée en Asie, s'est lancée dans une frénésie d'acquisitions au Canada à partir de 2010, prenant pied dans le marché de la pâte NBSK, mais le Bureau canadien de la concurrence est intervenu dans deux cas, forçant la vente de deux usines de pâte NBSK. La première usine canadienne de pâte NBSK que Paper Excellence a acquise était Howe Sound Pulp & Paper en 2010, suivie des usines Northern Pulp et Prince Albert en 2011. Elle a acquis l'usine de Skookumchuck, en Colombie-Britannique, de Tembec en 2013. Puis, elle a acheté Catalyst en 2019, qui produit de la pâte NBSK commerciale à Crofton, en Colombie-Britannique.
Lorsqu'elle a acheté Domtar en 2019, elle a acquis les usines de pâte NBSK de Dryden et d’Espanola en Ontario, mais a été forcée de vendre l'usine de Kamloops, en Colombie-Britannique, à Kruger. Enfin, l'acquisition de Produits forestiers Résolu par Paper Excellence par l'entremise de sa filiale Domtar, qui devrait être finalisée au cours du premier semestre de 2023, ajoutera l'usine de pâte NBSK de St-Félicien, au Québec, à ses activités, mais pour satisfaire le bureau de concurrence, la vente de l’usine NBSK Domtar de Dryden à First Quality vient d’être annoncée et l'usine Résolu de Thunder Bay, en Ontario, est aussi en vente. Cela signifie que Paper Excellence sera bientôt propriétaire de sept usines de pâte NBSK (dont deux non opérationnelles) sur un total d'environ 21 au Canada.
Que nous réserve l'avenir ?
Parmi les défis auxquels sont confrontés les producteurs canadiens de pâte NBSK, mentionnons les suivants :
- L'âge des usines (l'âge moyen des chaudières de récupération canadiennes est >42 ans) et le coût de l'entretien et de la modernisation des installations vieillissantes ;
- Le changement climatique, qui menace la disponibilité de bonnes fibres en raison de l'augmentation des infestations d'insectes et de la fréquence des incendies de forêt ;
- Les objectifs de zéro émission nette et les taxes sur le carbone, qui nécessiteront des investissements en capital dans les années à venir pour réduire les émissions de GES.
- La concurrence, principalement de la Finlande, où deux nouvelles usines de pâte NBSK/NBHK ont été construites au cours des six dernières années avec une capacité combinée de 1,4 million de tonnes de pâte NBSK, ce qui équivaut à environ cinq des usines canadiennes moyennes d'aujourd'hui ; une partie de cette production devrait atteindre la côte est des États-Unis.
- L’augmentation de la qualité de la pâte kraft d'eucalyptus blanchie (BEK) provenant de forêts de plantation à croissance rapide, ce qui a entraîné une baisse des niveaux de pâte de renforcement du bois de résineux ; le marché mondial de pâte BEK a augmenté de 5 %/an au cours des dix dernières années.
La bonne nouvelle est que la pâte NBSK est toujours la meilleure fibre de bois de qualité en tant que pâte de renforcement, en raison des arbres à croissance lente dont elle est faite. Le marché mondial de la pâte NBSK a également augmenté d'environ 1 % par an depuis 2000. Mais il est clair que la voie à suivre sera difficile. Les décisions stratégiques ne seront pas en noir et blanc, c'est-à-dire des décisions qui iront au-delà de simplement décider s'il faut fabriquer de la pâte brune ou blanche !
Martin Fairbank a travaillé dans le domaine de la foresterie pendant 31 ans, y compris de nombreuses années pour un producteur de pâtes et papier et deux ans avec Ressources Naturelles Canada. Détenteur d'un PhD en chimie et d'une expérience en amélioration de procédés, développement de produits, gestion d'énergie et de production rentable, Martin est actuellement un conseiller indépendant basé à Montréal. Il est également écrivain et a publié récemment Resolute Roots qui relate les 200 ans d'histoire de la compagnie Produits forestiers Résolu et de ses prédécesseurs.
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