Prix de l’électricité en Europe : de la stabilité au chaos

Holmen Paper Hallstavik, en Suède, est un exemple d’entreprise faisant appel à l’éolien. Source : Holmen.

Sören Back
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Comment l’électricité est-elle produite et distribuée en Europe? Pourquoi le continent manque-t-il d’électricité et les prix sont-ils hors de contrôle? Pourquoi l’Europe est-elle affectée par les prix du gaz naturel? Pourquoi les papetières européennes doivent faire face à l’envolée des prix de l’électricité et de l’énergie en général?

Il y a cinquante ans, la situation de l’électricité sur le Vieux Continent était complètement différente. A l’époque, nous n’étions pas affectés par un manque de gaz naturel russe ou par les règlements de l’Union européenne. C’était il y a bien longtemps. Pour des raisons de compétitivité et de durabilité écologique, les pays de l’Union européenne ont décidé de créer un marché interne commun pour l’électricité, et ce au début des années 1990.

Résultat, l’Europe a déréglementé les marchés de l’électricité qui se transige sous des conditions de compétition. Les réseaux électriques sont interconnectés et l’électricité passe à travers les frontières. La croyance selon laquelle le gaz russe puisse en toute quiétude fournir plusieurs pays européens se trouvait probablement dans la tête des autorités européennes à l’époque, mais avec le recul cette décision aura été prise à l’aveugle.

Cette décision a occasionné des changements aux monopoles naturels pour l’opération des réseaux et au rôle de d’autres acteurs dans le système énergétique. En Suède, par exemple, Svenska kraftnät a été créé pour gérer et développer le réseau de transmission du pays. Ce réseau comprend 17 000 km de lignes de 400 kV et 200 kV avec environ 200 transformateurs et stations commutatrices ainsi que 16 connections avec d’autres pays. La Figure 1 montre la « toile d’araignée » que constitue le réseau de transmission actuel.

SB 11oct22 2Le réseau de transmission électrique avec ses ramifications à l’étranger. Source : Svenska kraftnät.

Les conditions pour la production d’électricité varient d’un pays à l’autre. Par exemple, la Suède et la Norvège, avec leurs rivières s’écoulant des chaînes de montagnes, bénéficient de vastes ressources hydroélectriques, ce que des pays au profil plat comme la Belgique, la Hollande et le Royaume-Uni n’ont pas. La Suède, tout comme d’autres pays, a investi massivement par le passé dans le nucléaire pour la production d’électricité. De nos jours, le gaz naturel russe est aussi utilisé dans plusieurs pays pour produire de l’électricité.

Prenons pour exemple la Suède, même si sa situation n’est pas typique de ce que l’on retrouve en Europe. Pendant de nombreuses années, la production d’électricité venait en grande partie d’installations hydroélectriques et nucléaires. En 1970, la production totale d’électricité se chiffrait à 59,1 TWh contre 165,5 TWh en 2021. Le mix de différents types de production en 2021 était complètement différent d’il y a 50 ans. En effet, l’hydrogénération comptait en 2021 pour 70,6 TWh, suivi du nucléaire à 51 TWh, l’éolien avec 27,4 TWh, la cogénération à 9,0 TWh, la cogénération industrielle à 6,5 TWh et l’énergie solaire qui ferme la marche à 1,1 TWh. Parmi ces dernières énergies, l’éolien est en nette hausse, plusieurs usines suédoises possédant leur propre parc d’éoliennes.

La Suède et la Finlande sont de grands producteurs de pâte chimique et les usines de pâte scandinaves produisent ainsi une part importante de l’électricité qu’elles consomment. Dans la plupart des cas, les usines de pâte sont intégrées à une papetière qui profite de l’électricité produite par la fabrique de pâte. Les fabricants de pâte chimico-thermomécanique non intégrés, par contre, sont dans une position plus délicate, surtout si elles sont situées dans le sud de la Suède et de la Norvège où les prix de l’électricité sont plus élevés qu’au nord.

Les papetières de Klippan et de Lessebo, en Suède, ainsi que celle de Nordic Paper à Greaker, en Norvège, sont des exemples éloquents d’usines qui ont dû cesser temporairement leurs activités à cause du coût prohibitif de l’électricité. Ces usines ont en commun qu’elles sont situées au sud de leur pays respectif, où les prix sont à leur niveau le plus élevé, ce qui leur porte préjudice puisqu’elles ne sont pas intégrées. Dans le reste de l’Europe il existe plusieurs exemples d’usines forcées de réduire leur production ou même de fermer à cause de l’envolée des prix de l’électricité et du gaz naturel.

SB 11oct22 3Les usines de pâte chimique ont l’avantage de produire de l’électricité avec leurs propres turbines. Photo : Södra.

En Finlande, l’industrie priorise la production interne d’électricité. Des entreprises finlandaises comme Stora Enso et UPM sont propriétaires d’installations de production d’électricité et sont aussi co-propriétaires de centrales énergétiques. L’importance de l’énergie nucléaire est plus élevée en Finlande qu’en Suède. On peut expliquer cette situation et surtout cette implication des papetières dans l’énergie par le principe de Mankala. Cela veut dire que la compagnie d’énergie nucléaire ne fait pas un sou alors que les actionnaires défrayent les coûts réels et reçoivent de l’électricité à hauteur de leurs parts détenues.

UPM Energy, avec ses propres centrales et ses parts dans des compagnies énergétiques, est le deuxième producteur d’électricité en Finlande, avec une capacité de 1,4 GW et de 2,8 GW pour le groupe UPM. Par exemple, UPM est actionnaire majoritaire de Pohjolan Voima, qui détient 58% des parts de TVO (Teollisuuden Voima Oyj, qui contrôle pour sa part une des deux centrales nucléaires, soit celle d’Olkiluoto. La centrale compte déjà deux réacteurs et un troisième entrera en action cet automne, après plusieurs incertitudes.

Sur le continent européen, avec la transformation de papiers recyclés, les entreprises dépendent directement du gaz naturel, souvent utilisé pour actionner les turbines produisant de l’électricité. Les usines nordiques intégrées rivalisent d’efficacité en utilisant des produits résiduels pour la production interne d’électricité. Les turbines dans les fabriques de pâte kraft sont de substantiels productrices d’électricité. Cet avantage n’existe pas avec les usines européennes non intégrées.

Devant la pénurie et les prix élevés de l’énergie, les producteurs de pâte détiennent un avantage. Jusqu’à maintenant, les prix du papier d’impression et du carton ont décollé à la hausse, ce qui a partiellement compensé pour les prix élevés de l’électricité. Sur le court terme, la situation semble sous contrôle mais qu’en est-il du long terme?

L’industrie papetière britannique, comme celle de d’autres pays sans production de pâte à grande échelle, est sévèrement affectée par les prix gonflés de l’électricité et de d’autres types d’énergie. Les usines historiques de Stoneywood et Chartham, pour ne nommer qu’elles, ont été placées sous surveillance, la spirale des coûts de l’énergie et des matériaux bruts ayant rendu le climat d’affaires intenable.

Andrew Large, directeur général de la Confédération des industries papetières (CPI), avouait récemment au magazine Printweek que les papetiers sont inquiets. « La surprise a fait place au désarroi lorsque le Royaume-Uni s’est enlisé dans une position difficile au cours des deux derniers mois, période pendant laquelle ses nations compétitrices ont élaboré des stratégies et les ont implantées, » explique-t-il.

« L’inquiétude tient au fait que le Royaume-Uni puisse perdre la bataille et au manque d’assurance quant à l’éventualité de pénuries d’énergie, malgré les discours (peu) rassurants des politiciens. Cet hiver, si les approvisionnements énergétiques du Royaume-Uni restent stables, ce ne sera pas une question de jugement mais bien de chance! »

Actuellement, les usines cherchent à réduire leur dépendance face au gaz naturel : un exemple de cela est le fabricant de papier de soins hygiéniques Kimberly Clark qui annonce un investissement public-privé de 40 millions de livres sterling avec Carlton Power pour remplacer une chaudière au gaz naturel par de l’hydrogène à son usine de Barrow-in-Furness. Des efforts sont aussi mis dans l’industrie de l’impression pour réduire partiellement la consommation électrique aux moyens de technologies moins énergivores. Les fabricants de systèmes LED-UV, par exemple, remarquent une forte hausse de leurs chiffres de ventes.

D’abord il y a eu la pandémie de COVID-19, s’imposant tel un carcan aux compagnies papetières. Une fois la situation revenue à un semblant de normale, ce fut l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine, laquelle a, en quelques semaines, changé la donne dans le domaine de l’énergie et poussé les prix de différents types d’énergie vers des sommets.

Dans la globalité de l’Europe, on ressent bien l’énorme pression sur les décisions politiques pour faciliter les choses, autant pour l’industrie que pour les consommateurs. L’Union européenne essaie, aux moyens de différentes mesures, de soulager ceux qui sont le plus impactés par l’explosion des prix. Sur le long terme, les subventions, ici et là, ne suffiront pas. Ce qu’il faut c’est que les pays de l’Union soient plus indépendants vis-à-vis la production d’électricité et puissent jeter les bases d’un système qui contribuera à la normalisation des prix. Idéalement, toute initiative devrait se faire dans le respect de l’environnement, ce qui rend la tâche encore plus ardue.


SorenBack portraitSören Back a fait sa marque dans l’industrie suédoise des pâtes et papiers depuis 1976. Détenteur d’une maîtrise scientifique en chimie, option technologie des pâtes et papiers, la carrière de M. Back passe du contrôle de production au développement de produits, de même qu’aux ventes, marketing et communications, ayant surtout occupé des postes de direction. Au cours des années passées, Sören a travaillé pour MoDo Paper, M-real – maintenant Metsa Board – et SP Processum. Il dirige maintenant sa propre entreprise, SB Kommunication AB, à titre de rédacteur pigiste et consultant en communication pour des clients provenant majoritairement de l’industrie des pâtes et papiers.